Cet article ne parle pas de l'univers NBA mais reste très interessant et met l'emphase sur la manipulation médiatique au sein du très célèbre quotidien sportif "L'Equipe".
Il est issu du journal : LE MONDE DIPLOMATIQUE - Édition imprimée — septembre 2007 — Pages 22 et 23

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La presse face au délitement du sport de haut niveau

« L'Equipe », l'épique et l'éthique

Le sport est de plus en plus dépossédé de ses valeurs pour hypnotiser les supporters et servir des intérêts mercantiles ou politiques. La Coupe du monde de rugby, du 7 septembre au 20 octobre, n'y échappera pas davantage que le dernier Tour de France cycliste. Le quotidien sportif « L'Equipe », malgré son influence majeure, semble avoir renoncé à infléchir cette évolution. Dépassés par la logique marchande imposée en haut lieu, ses journalistes ont clairement perdu la partie.

Par Johann Harscoët

« Pour l'éternité »  ; « Monumental »  ; « Héroïques »  ; « Magique ! »  ; « Le bonheur ! »  ; « Historique »  ; « Le jour de gloire »  ; « Que d'émotions ! »  ; « C'est énorme ! » Au siège du journal L'Equipe, situé dans le centre nerveux des grandes chaînes de télévision françaises, à Issy-les-Moulineaux, aux portes de Paris, les grandes « unes » du quotidien spécialisé tapissent les murs, comme autant de scalps dédiés aux triomphes des athlètes nationaux et à la success story du journal sportif le plus influent de l'histoire.

De nombreux records sont tombés ces dix dernières années, des records de vitesse, de longueur, de hauteur, de transferts de joueurs, de matchs disputés... mais aussi de ventes d'exemplaires. L'Equipe, le quotidien français le plus lu (lire « Florissant groupe de presse ») , est en toute logique le porte-voix de tous les supporters français. Logique économique, qui permet à la société en nom collectif (SNC) L'Equipe d'être une entreprise de presse en parfaite santé, à peine ébranlée par la concurrence de plus en plus massive, mais dispersée, de publications spécialisées dans tel ou tel sport.

Les journalistes de L'Equipe – passés d'un effectif de soixante-dix en 1975 à celui de deux cent quatre-vingts en 2007 – profitent très légitimement de cette relative prospérité : de bons salaires (quelque 3 500 euros en moyenne par mois), des conditions de travail confortables (pas de conflits à « couvrir », de drames à relater ou de séjours dans des hôtels à une seule étoile), des conditions de repos... reposantes (un jour sur deux de congé en moyenne dans l'année), un comité d'entreprise généreux, un accès privilégié au théâtre des rêves de tous ceux qui aiment le sport. Et la satisfaction non négligeable d'être lus quotidiennement par des millions de Français de toute génération et de toute catégorie socio-professionnelle.

Pressions psychologiques, intimidations

En réalité, le tableau est loin d'être aussi idyllique. « Depuis quelques années, une très forte hiérarchisation s'est mise en place, affirment dans les mêmes termes de nombreux journalistes travaillant dans des rubriques, des rédactions ou des fonctions différentes. Il n'y a plus d'espace pour la proposition, la réflexion collégiale, ou les vraies questions éditoriales. Tout est désormais très structuré, stratifié, rigidifié, planifié, cloisonné. Les journalistes sont devenus de simples exécutants, et bon nombre d'entre eux rejoignent leur rédaction à reculons. L'ambiance est délétère, mais sourde, parce que personne ne peut ou ne veut l'ouvrir. »

« L'ouvrir », c'est se positionner de facto comme contestataire et mettre en danger un statut enviable. « Nos journalistes ne quittent pas l'entreprise, car ils savent qu'ils ne trouveront pas mieux ailleurs », se plaît à signaler Mme Marie Gérard, directrice de la communication de la société. Enfourcher son cheval blanc peut avoir des conséquences humiliantes ou invalidantes. Certains en ont fait l'amère expérience : mises au « placard » (courantes dans le groupe), licenciements fracassants (nombreux depuis une dizaine d'années). Des pratiques qui ont fait jurisprudence.

Pierre Ballester ( 1), par exemple, grand reporter à la rubrique cyclisme, arrivé en 1989, licencié en 2001, raconte : « A partir de l'éclatement de l'affaire Festina  (2) , en 1998, j'ai pris le parti de ne plus être un journaliste de sport, mais journaliste tout court, en me focalisant exclusivement sur le dopage. J'ai d'une certaine façon été, avec quelques autres, un poisson-pilote, car L'Equipe était complètement dépassé par la presse généraliste dans ce type d'investigation. Progressivement, la direction a cherché à évacuer la question. J'ai jugé et affirmé que cette position – ou cette absence de position – mettait en doute la crédibilité du journal. Pour moi, il était intenable de continuer à s'acoquiner avec ce milieu où les vraies personnalités s'étaient révélées. J'ai donc été marginalisé, au même titre que Christophe Basson. » Après avoir publiquement émis des doutes sur les performances de Lance Armstrong, lors du Tour de France 1999, ce coureur cycliste de la Française des jeux avait été pris pour cible par le peloton.

Pressions psychologiques, voire intimidations, ont souvent isolé les « têtes brûlées » qui se réclamaient d'un journalisme indépendant des exigences de profit qui régissent la vie du groupe depuis que le service marketing, situé au sommet de l'immeuble de la rue Rouget-de-Lisle, sous les bureaux de la direction (et au-dessus de l'ensemble des rédactions), s'est vu confier la responsabilité de « faire la jonction entre les lecteurs et les annonceurs ». C'est-à-dire de dicter leurs devoirs aux rédacteurs en chef, puis aux rédacteurs en chef adjoints, « ceux qui ne doivent apporter aucune contradiction, ceux qui font office de tampon avec les journalistes », selon un syndicaliste.

Le tournant se serait produit en 1995. Selon Jean-Yves Viollier, l'ancien rédacteur en chef technique, qui a rejoint depuis Le Canard enchaîné, « à partir de cette époque, il s'est agi de faire de l'actualité heureuse, de ne surtout pas gâcher le plaisir du lecteur, et même de flatter ses instincts. Sous la houlette de Francis Gabet, le patron du marketing, les rédacteurs en chef ont assisté à des projections d'études, de statistiques, de panels de lecteurs à partir desquels ils ont reçu une feuille de route extrêmement précise leur indiquant ce dont il fallait parler, comment il fallait en parler et pourquoi il fallait en parler ».

Président de Manchette Sports, la régie publicitaire de la société, M. Louis Gillet a confirmé en 2004 cet état de fait : « Nous avons réintégré un ton positif plutôt qu'un ton critique systématique. Cela nous a permis de nous réconcilier avec le milieu du sport, avec lequel nous étions fâchés  (3) . » Et de signaler que la Fédération française de football et le mouvement olympique, par exemple, reconnaissent que L'Equipe a changé « dans le bon sens ».

Avec le peu de marge dont ils disposent pour établir certains faits, les journalistes du groupe L'Equipe sont conduits à valider, donc à glorifier, les victoires, les titres, les records. Il y a quelques années, bien après l'affaire Valenciennes - Olympique de Marseille (VA-OM) de 1993 ( 4), un club considéré comme exemplaire a remporté à l'arraché le championnat de France de football, sans que personne, pas même les amateurs, ne fût tout à fait dupe des moyens extrasportifs (financiers) utilisés par l'équipe dirigeante. La fin du match décisif avait semé le malaise. Des joueurs avaient parlé, en « off » bien entendu. Les rédactions de L'Equipe et du bihebdomadaire France Football (appartenant au même groupe) se contentèrent de faire l'apologie du beau jeu, du sérieux et de l'exemplarité du vainqueur les jours suivants.

C'est que, là aussi, il y avait eu jurisprudence, à France Football justement. Avant même l'affaire VA-OM, le journal, alors hebdomadaire, n'avait eu de cesse de s'interroger ironiquement sur les miracles qui permettaient à l'Olympique de Marseille de remporter tous les titres. En juin 1993, en pleine affaire, il fit chaque semaine sa « une » sur ce qui allait devenir le feuilleton de l'été, révélant au passage de nouveaux éléments utiles à la compréhension. Bien que les ventes fussent en hausse, cette politique éditoriale polémiste valut deux ans plus tard sa place au directeur de la rédaction Jacques Thibert, dont le départ entraîna celui de la majorité des reporters, qui qualifient aujourd'hui cette période mouvementée de « grande époque ».

En définitive, personne n'a intérêt à ce que ce genre d'affaire ternisse la machine à rêves que le sport de haut niveau est devenu, avec son calendrier toujours plus étoffé et étouffant. Les rédactions du groupe L'Equipe, bridées par la science exacte du marketing, n'ont tout simplement plus vocation à porter la plume dans la plaie, mais doivent se contenter de relayer et de développer ce que tout le monde sait déjà ou de délaisser ce que tout le monde ne doit pas savoir. Les efforts les plus conséquents en matière d'enquête portent en définitive sur les transferts de joueurs ou sur les psychodrames internes aux clubs.

Un éditorial infantilisant

Ancien chef de la rubrique football et rédacteur en chef du titre-phare (puis directeur du Centre de formation des journalistes [CFJ], en 2004, et directeur de l'information de la chaîne de télévision M6 depuis août 2007), Fabrice Jouhaud a quitté le groupe au terme d'un désaccord éditorial : « J'avais tout simplement envie de faire du journalisme... L'Equipe n'a pas su prendre ses distances avec la famille du sport. Son rôle devrait être de relater l'événement, et non de l'accompagner comme elle le fait, avec un certain manque de recul. Les journalistes sportifs sont des supporters améliorés ; quant à la presse sportive, et à travers elle L'Equipe, c'est à mes yeux l'exemple le plus frappant de la marchandisation de l'information. »

Cette marchandisation consiste à donner un public à des annonceurs, donc à fidéliser ce public. Principe premier de la fidélisation : satisfaire les pulsions, bien sûr. Porter aux nues les champions qui gagnent et ignorer, moquer, voire attaquer les champions... qui perdent, c'est-à-dire tous ces sportifs de haut niveau qui ont aussi réussi l'exploit rarissime de faire de leur passion un métier : les entraîneurs qui font des mauvais choix tactiques, les footballeurs qui ratent un match, les tennismans qui doutent, les athlètes qui se blessent, les arbitres qui oublient de siffler un penalty...

Pas de place pour la défaite malheureuse, puisqu'elle fait moins vendre que la victoire chanceuse. Au lendemain d'un fameux match entre le Paris-Saint-Germain (PSG) et Hapoel Tel-Aviv qui se solda par un score de 4 à 2 en faveur du club israélien, le 23 novembre 2006, L'Equipe titra en « une » et en grosses lettres noires : « Paris, la honte ». Non pas en raison de la mort d'un supporter suite à des manifestations de haine antisémite, encore ignorée au moment du bouclage, mais simplement parce qu'un club de football avait perdu un match... que le club adverse avait gagné. Le surlendemain, la rédaction en chef corrigea le tir en assénant un éditorial moralisateur et infantilisant, comme très souvent lorsqu'il s'agit de violence ou de dopage.

Cette obsession de la performance, cette pression de tous les instants, cette soumission à une cadence infernale ne peuvent que pousser le grand sportif à tenter de se dépasser par tous les moyens lorsque le corps et le cœur ne repoussent plus les limites. Otage de son propre talent, encensé ou blâmé au-delà du raisonnable, il est et sera de plus en plus conditionné pour gagner – quitte à se doper –, à plus forte raison quand les manipulations génétiques de demain, totalement indécelables et tellement plus efficaces que les bricolages actuels, le transformeront en superman de moins en moins... humain. La lutte contre le dopage à l'aide d'éprouvettes est évidemment un combat perdu d'avance.

Selon la philosophe du sport Isabelle Queval (5), la question est bioéthique . « Elle porte sur l'espèce humaine, emportée dans sa course à la performance. Il faudrait pouvoir anticiper et proposer des limites ou des barrières. Qu'on arrête de dire qu'il y a des gentils et des méchants, et que l'on s'interroge enfin sur ce que le dopage signifie du point de vue de l'évolution humaine. »

L'ancien directeur de France Football Jacques Thibert va dans le même sens : « L'erreur, c'est de désigner les sportifs qui se dopent comme des “salopards”, de focaliser sur eux, alors que la source du problème est beaucoup plus profonde. L'Equipe a tous les pouvoirs, notamment celui de promouvoir de vraies valeurs éthiques, humaines, et une harmonie entre le sport et la société. Mais, pour l'instant, il est guidé par des intérêts mercantiles. »

Ce journal, créé en 1946, suite à la disparition de son ancêtre L'Auto, et davantage lu par les cadres supérieurs que Le Monde, est désormais au sport ce que la Bourse est à l'économie. Il est devenu le premier dépositaire du résultat brut, du dépassement de soi, de l'élimination de l'autre, de l'ordre phallique. En somme, un instrument grand public de mesure du progrès scientifique. Il promeut un sport débarrassé de son encombrante nature, inutile miroir d'un monde originellement déséquilibré, visant, in fine, à nier l'impuissance relative de l'homme ( 6).

Compagnon quotidien des sportifs de tout niveau, il n'injecte pas le venin, mais tient la seringue (comme l'ensemble des médias de masse), en traitant vulgairement le sport comme une affaire de gagnants et de perdants, une compétition perpétuelle, une guerre ritualisée, un rejet viscéral de la notion de limite, un exutoire des pulsions et des frustrations de son lectorat. Composé à 85 % d'hommes de tous les âges et de tous les horizons ( 7), celui-ci est uni par un dénominateur commun : une recherche plus ou moins consciente d'affirmation masculine à travers la projection idéalisée d'un sportif ou d'une équipe ( 8).

Plus vite, plus haut, plus fort ! Un journaliste de France Football le confirme, en riant jaune à l'évocation des pratiques de dopage dans l'équipe de « foot » la plus célèbre de France : « Tout le monde sait ce qui se passe, mais personne ne se l'avoue ni ne peut en parler. Et je pense qu'en fait ça fait désormais partie du décor. Après tout, c'est ce que le public demande : des performances, toujours plus de performances ! »

Le plus inquiétant réside dans l'écart grandissant entre la sphère professionnelle et le monde amateur, dont l'importance sociale, économique et culturelle est tellement supérieure aux quelques millions que perdent puis regagnent ici et là les grands investisseurs ( 9). Preuve parmi d'autres que L'Equipe néglige les racines du sport, son soutien à peine voilé à l'adoption de l'arbitrage vidéo dans le football professionnel, laquelle équivaudrait à déshumaniser encore un peu plus ce sport et surtout à fragiliser davantage ces milliers d'arbitres du dimanche qui ont déjà toutes les peines du monde à se faire respecter (10). Le mimétisme des amateurs ne se limite pas aux techniques d'entraînement ; ces derniers copient également les joueurs pros, les entraîneurs, les commentateurs, qui fustigent à chaque rencontre ou presque les inévitables erreurs de jugement des arbitres. L'Equipe n'est jamais le dernier à les attaquer, pour la simple et bonne raison que leurs bévues nuisent à l'exigence de certitude des investisseurs et des supporters.

Le sport est pourtant beaucoup plus que cela pour les centaines de millions de pratiquants à travers le monde : un langage universel, qui allie subtilement le corps et l'esprit, qui sublime la société, qui transcende les frontières, les classes, les différences.

Prisonnier d'une culture du résultat désormais bien ancrée, L'Equipe traverse une double crise d'identité : celle d'un journal de sport qui assiste, de façon impuissante ou inconsciente, au délitement des valeurs qui le fondent ; celle d'une entreprise de presse qui a renoncé aux fondamentaux du journalisme sportif, tels que les ont formulés l'Union syndicale des journalistes sportifs français (USJSF) – « Ecrire, dire, photographier, filmer, crier s'il faut la réalité, quels qu'en soient les risques » – et l'Association internationale de la presse sportive (AIPS) – « Les journalistes doivent en toute circonstance défendre leur droit à l'information, sauvegarder leur liberté d'expression et de jugement, et résister aux pressions de tout pouvoir, qu'il soit politique, économique ou sportif  ( 11) . »

«  L'Equipe devra tôt ou tard réagir pour influencer positivement le grand corps malade qu'est devenu le sport de haut niveau, estime Ballester. Clairement, il va devoir se réinventer, faire son “coming out” [sortie du placard].  » Selon Marc Panighi, de L'Equipe Magazine, le journal a « mis le doigt dans l'engrenage. A force de positiviser l'évolution du sport et des sportifs, nous avons abandonné un nécessaire rapport de force. Le concept de réalité journalistique a été déplacé, puisque, désormais, il s'agit de surfer sur la vague et de ne surtout pas contrarier son essor. Nous sommes maintenant tellement habitués à cet état de fait que nous ne réfléchissons même plus. Nous sommes en train de devenir des techniciens de l'information, voire des attachés de presse. »

Exemple criant, les liens très étroits qui unissent la SNC L'Equipe à Amaury sport organisation (ASO), propriétaire de grandes compétitions sportives, parmi lesquelles le Tour de France – le tour des marques, des surhommes et du cyclisme – et le mortifère Paris-Dakar, responsable depuis 1979 d'une cinquantaine de décès, dont ceux de neuf enfants, fauchés par des véhicules ( 12). Mascarade ou tragédie, peu importe. L'Equipe continue, année après année, de fermer les yeux pour mieux servir ASO, qui siège d'ailleurs dans les mêmes locaux, parce qu'elle n'est autre que la filiale de la maison mère Amaury.

Au sommet de l'immeuble de la rue Rouget-de-Lisle, l'heure n'est pas à ces inutiles considérations éthiques, mais plutôt à divers partenariats lucratifs. Mal vécue par une partie des journalistes, la série automobile spéciale Mégane L'Equipe, lancée par Renault en début d'année, permet aux acheteurs de trouver sur le siège de leur nouvelle voiture noire ou rouge (couleurs du logo de L'Equipe ) l'ouvrage commémoratif des soixante ans du journal et un abonnement de trois mois au quotidien. Bien davantage qu'un coup publicitaire, cette opération vise à unir le constructeur automobile à Manchette Sports, la régie publicitaire du groupe Amaury, dans l'optique de développer des systèmes d'information embarqués censés permettre la réception de news sportives labellisées L'Equipe . Il faut dire que, issu de la publicité comme son prédécesseur Paul Roussel, M. Christophe Chenut, président-directeur général depuis 2003, a annoncé la couleur dès son arrivée, en voulant « faire de L'Equipe l'Agence France Presse [AFP] du sport ».

« Notre développement mondial est impératif »

Le mouvement est en marche, et rien ne doit contrarier l'expansion mondiale de ce que le service marketing présente désormais comme la « marque de presse la plus puissante ». L'Equipe fournit d'ores et déjà des contenus à plusieurs médias asiatiques et dispose d'un bureau à Pékin depuis dix-huit mois. Un « directeur du développement mondial » vient même d'être nommé. « Dans dix ans, explique Christophe Chenut, L'Equipe sera en danger s'il n'a pas su sortir du cadre franco-français. Les stars ont de plus en plus tendance à communiquer au niveau international. Si nous voulons continuer d'avoir accès aux champions, notre développement mondial est impératif. Toutefois, nous désirons garder notre indépendance, et nous excluons toute idée d'exclusivité avec eux. »

« Le champion, élément fabuleux dans le paysage moderne, est un héros qui ne parvient pas à devenir un personnage », écrivit en 1968 la grande plume du journal, Antoine Blondin. Le grand défi de L'Equipe, un peu moins viril mais un peu plus sage que la conquête du monde, sera précisément de l'aider, au-delà de l'éloge et du blâme, à n'être perçu « que » comme un être humain, à la fois prisonnier et libre de ses propres limites. L'avenir du sport est à ce prix. L'identité journalistique de L'Equipe aussi.

Johann Harscoët.

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( 1) Pierre Ballester est notamment l'auteur, avec David Walsh, de L.A. confidentiel, les secrets de Lance Armstrong, La Martinière, Paris, 2004.
( 2) L'« affaire Festina » a marqué le Tour de France 1998 en faisant éclater au grand jour des pratiques de dopage généralisé au sein de cette équipe.
(3) Cf . Marc Baudriller et Amaury de Rochegonde, « L'Equipe voit la vie en rose », Stratégies , Paris, 20 mai 2004.
(4) Le club marseillais, alors dirigé par M. Bernard Tapie, avait été reconnu coupable d'une tentative de corruption de trois joueurs du club de Valenciennes.
(5) Citée dans Ouest France (Rennes) du 17 mai 2004, et auteure de S'accomplir ou se dépasser. Essai sur le sport contemporain , Gallimard, Paris, 2004, 341 pages.
(6) « Journalisme sportif : le défi éthique », Les Cahiers du journalisme, n° 11, Ecole supérieure de journalisme (ESJ), Lille, décembre 2002.
(7) Cf . la plaquette mise à disposition des annonceurs : http://www.manchettesports.com/pdf/chiffres-cles-2007_equipe.pdf
(8) Lire Catherine Louveau, «  Femmes sportives, corps désirables  », Le Monde diplomatique, octobre 2000.
(9) Philippe Tétart (sous la dir. de), Histoire du sport en France, de la libération à nos jours, Vuibert, Paris, février 2007.
(10) Pour endiguer la hausse des violences contre les arbitres de football amateurs, une loi a été votée, en octobre 2006, qui assimile désormais leur activité à une mission de service public.
(11) Citation de Jacques Marchand, historien du sport, lors du congrès de l'AIPS de Chicago, en 1994.
(12) Amaury Sport Organisation (ASO) organise notamment, outre le Tour de France et le Paris-Dakar, Paris-Roubaix et Paris-Nice en cyclisme, l'Open de France de golf, ainsi que le Marathon de Paris.

LE MONDE DIPLOMATIQUE - Édition imprimée — septembre 2007 — Pages 22 et 23